Secteurs : Energie, pollution, santé Pays : Burkina Faso Période d’intervention : 2019-2022 Porteur de projet : Nafa Naana, Entrepreneurs du monde Equipe de recherche : Institut de Recherche en Sciences de la Santé (Ouagadougou, Burkina Faso) ; Centre Muraz (Bobo-Dioulasso, Burkina Faso) ; Laboratoire d’économie de Dauphine (UMR Université Paris-Dauphine, CNRS, Institut de Recherche pour le Développement) ; UMR Bordeaux Sciences Économiques – Université de Bordeaux Budget évaluation : 931 700€ dont 404 000€ de budget PAIRES |
Présentation du projet de recherche
L’étude REDGAS1, réalisée au Burkina Faso, a évalué l’impact de l’accès au gaz de cuisson sur les comportements des ménages, leur exposition à la pollution de l’air et leur santé. Les interventions testées incluaient des offres de crédit et des subventions pour l’achat de kits de cuisson au gaz.
Les chercheurs ont estimé l’impact via un essai randomisé contrôlé (RCT). Cette méthode consiste à assigner aléatoirement des interventions, ici l’accès à des kits Télia via des subventions ou des crédits, puis à comparer les résultats finaux des ménages ayant reçu des interventions différentes ou n’ayant pas été exposés aux interventions.
La randomisation a été réalisée sur 805 ménages, situés dans 3 villes différentes (Kombissiri, Manga et Pô). Les villes choisies présentent des niveaux de pollution de l’air ambiant faibles, ce qui permet d’identifier plus facilement les effets de l’accès au gaz sur la pollution de l’air domestique. Les ménages éligibles à l’étude sont ceux qui ne disposent ni de gaz ni d’électricité pour cuisiner et qui ne fabriquent pas de dolo2 à des fins commerciales. Les 805 ménages ont été ensuite assignés par tirage aléatoire à un des groupes expérimentaux (voir schéma 1). Le groupe 1 (crédit) a bénéficié d’une offre d’achat proposant d’acquérir un kit Télia au prix de marché de 25 000 FCFA avec l’option de pouvoir bénéficier d’un paiement échelonné en trois échéances aux conditions habituellement proposées par Nafa Naana3. Les ménages assignés au groupe 2 (subvention) ont reçu une offre d’achat de kit Télia au comptant à prix réduit. Le prix associé à cette offre était de 15 500 FCFA. Le groupe 3 correspond au groupe contrôle et n’a pas reçu d’offre d’achat.
Schéma 1 – Stratégie de randomisation
Les résultats
Une forte adoption, mais plus de personnes adoptent le kit subventionné que le kit à crédit.
Six mois après l’intervention, 49% des foyers ayant bénéficié d’une offre à crédit et 75% des foyers ayant bénéficié de l’offre subventionnée détenaient une ou plusieurs bouteilles de gaz. Par comparaison, seulement 22% des foyers n’ayant pas bénéficié de soutien financier, disposaient de bouteilles de gaz. Cette différence d’effet peut être expliquée par la contrainte budgétaire subie par le groupe n’ayant pas accès à la subvention. En effet 50% des ménages interrogés lors de l’enquête ont cité le prix des recharges parmi les barrières à l’adoption du gaz.

Ces résultats mettent en évidence l’importance des incitations financières pour lever les barrières économiques à l’adoption des équipements de cuisson au gaz. Les offres subventionnées et à crédit augmentent significativement le taux d’équipement des ménages, avec un impact particulièrement marqué pour les subventions, qui répondent de manière plus efficace aux contraintes budgétaires des ménages à faibles revenus.
Six mois après l’intervention, 40% des kits sont en utilisation au cours d’une journée donnée.
L’incitation à utiliser du gaz plutôt que du bois a pour but de réduire l’exposition à la pollution de l’air. Ainsi, les ménages doivent être équipés des dispositifs mais surtout les utiliser. Les chercheurs ont donc mesuré l’utilisation des kits Télia via des capteurs optiques. Le graphique 1(a) rend compte de la proportion des kits acquis grâce aux offres d’achat qui sont en utilisation entre la date de retrait en magasin (jour 0) et la date de fin de la période de suivi (jour 180). Pour les deux groupes (ceux ayant accès au kit grâce à la subvention et ceux grâce au crédit), la courbe d’utilisation est similaire, et suit un taux d’utilisation entre 70% et 80% lors du premier mois. Ce taux décline progressivement et continuellement jusqu’à se trouver sous les 40% d’utilisation après 6 mois.
Cette baisse d’utilisation peut s’expliquer par un effet saisonnier affectant la consommation de bois. En effet le gaz est plus utilisé lors de la saison des pluies qui correspond à la saison où le bois, principale source de combustion, est moins disponible. L’étude permet d’observer que le taux d’utilisation reste supérieur d’environ 10 points de pourcentage dans le groupe « crédit » par rapport au groupe « subvention » à partir de la date théorique de paiement de la dernière échéance de crédit et jusqu’à quelques jours avant la fin de la période de suivi. Le graphique 1(b) confirme cette différence de profil d’utilisation puisque les ménages du groupe « crédit » utilisent également leur kit quelques minutes de plus par jour que ceux du groupe « subvention » sur la même période. Six mois après achat, le temps d’utilisation journalier est d’environ 30 minutes dans le groupe « crédit » et de 20 minutes dans le groupe « subvention ».
Graphique 1 – . Proportion et durée moyenne d’utilisation quotidienne des kits Télia

La consommation de gaz est plus forte lors de la saison des pluies, lorsque le bois n’est pas disponible.
La baisse d’utilisation observée ne signifie pas un abandon massif mais plutôt une utilisation régulière mais moins intensive. Ainsi, 45 % des cuiseurs acquis grâce aux offres d’achat ont été utilisés au moins dix journées différentes au cours du dernier mois de suivi, 70 % ont servi au moins une fois. Bien que les incitations financières augmentent initialement l’utilisation des kits Télia, leur usage décline progressivement, reflétant une adaptation saisonnière, avec une différence notable en faveur du groupe « crédit » après la période de remboursement.
Les kits de GPL ont n’ont pas permis de réduire la consommation de bois et l’exposition à la pollution de l’air des ménages.
Les chercheurs ont également souhaité savoir si l’adoption du gaz avait permis de le substituer à d’autres types de combustibles, ou plutôt de les compléter. Pour chaque type de combustible (gaz et bois) une mesure en grammes de leur consommation moyenne journalière au sein de chaque groupe de ménages a été réalisée (contrôle, traités ayant accès à la subvention, traités ayant accès au crédit).
Ces mesures montrent que l’introduction du gaz de cuisson a augmenté la consommation totale d’énergie dans les ménages traités mais n’a pas permis une substitution significative du bois comme combustible principal. La différence de consommation de gaz est d’environ 100 g par jour par rapport au groupe de contrôle, pour chacun des groupes traités. Cette différence représente l’équivalent en énergie utile d’environ 1 kg de bois, soit 20 % de la consommation de bois dans l’échantillon avant intervention. Les écarts de consommation de bois par rapport au groupe de contrôle sont eux minimes et statistiquement non-significatifs : entre 200 et 340 g, soit entre 4 et 7 % de la consommation du groupe de contrôle. D’après les résultats de l’enquête, il semble que les ménages équipés ont utilisé leur kit Télia pour réchauffer plus fréquemment leur nourriture que les ménages du groupe de contrôle. La consommation de bois n’ayant pas diminué, le taux d’exposition aux particules fines n’a pas diminué non plus.
Pour les ménages qui achètent leur bois, on observe des impacts positifs : une baisse de la consommation de bois et de l’exposition à la pollution.
Il est possible que l’absence d’effet des interventions sur l’exposition aux particules fines dissimule en réalité des impacts hétérogènes au sein de l’échantillon. Pour tester cette hypothèse dite « d’hétérogénéité des impacts », les auteurs de l’étude ont utilisé une méthode générique d’inférence par apprentissage automatique. Cette méthode développée par Chernozhukov et al., (2018) permet d’identifier les caractéristiques des ménages qui sont associées à des variations d’impact, sans faire d’hypothèse a priori sur la nature de ces caractéristiques. Elle révèle ici trois sources d’hétérogénéité importantes : la consommation de bois avant l’intervention, le mode d’acquisition du bois, et la probabilité de pauvreté du ménage.
Les résultats de l’analyse d’hétérogénéité concernant le mode d’acquisition du bois sont particulièrement intéressants du point de vue des politiques publiques. En se concentrant sur les ménages achetant une partie de leur bois avant l’étude, les auteurs observent des impacts significatifs : une adoption plus marquée du gaz, une baisse de 670 grammes de la consommation de bois journalière, et une réduction de 17 % de l’ exposition aux particules fines. En revanche, les interventions ne semblent pas avoir eu d’effet sur ces indicateurs chez les ménages collectant exclusivement leur bois. Ces différences d’impacts selon le mode d’acquisition du bois pourraient être liées au fait que les ménages collectant leur bois ont une moindre incitation financière à diminuer leur consommation de bois lorsqu’ils adoptent le gaz.
Enseignements
Un effet de substitution partielle entre bois et gaz semble exister pour les populations achetant majoritairement le bois de combustion. Ainsi le remplacement des combustibles solides comme le bois par des méthodes plus propres est plus probable dans les zones urbaines plutôt que dans les zones rurales où le bois est collecté gratuitement. Cependant des niveaux de pollution de l’air ambiant plus élevés dans ces zones urbaines pourraient atténuer les bénéfices sanitaires de telles transitions énergétiques.
Les principaux apprentissages de l’étude sont d’une part que les aides financières sous forme de crédit ou de subventions sont particulièrement efficaces pour accroitre le taux d’accès au gaz des ménages à faibles revenus, et d’autre part qu’elles ne permettent pas à elles seules de diminuer l’exposition des ménages à la pollution de l’air dans le contexte étudié.
En effet, bien que les ménages utilisent régulièrement leur équipement de cuisson au gaz, ils maintiennent leur consommation de bois inchangée et l’exposition aux particules fines issues de la combustion du bois reste donc stable. L’étude montre ainsi que le phénomène d’ « empilement » de combustibles déjà bien documenté par de précédentes évaluations peut être associé à un « rebond » de la consommation d’énergie totale des ménages qui annule complètement les bénéfices sanitaires des interventions de promotion du gaz, en particulier dans les contextes où le bois peut facilement être collecté. Les interventions sous forme d’aides à l’acquisition d’équipements doivent donc être complétées par d’autres approches – information, accompagnement des ménages, baisses du prix des combustibles propres – pour espérer générer des impacts sanitaires. Dans la mesure où les recharges de gaz sont déjà subventionnées à 50% par l’État burkinabè, les baisses de prix à envisager pour espérer un impact sanitaire sont néanmoins particulièrement fortes et impliquent un prix du gaz proche de zéro.


Cette étude a bénéficié du soutien financier de l’Agence française de développement (AFD) à travers le Partenariat AFD-IRD pour Réaliser des Évaluations d’impact en mobilisant la recherche du Sud (PAIRES) et la Division partenariats – Organisations de la société civile (DPA-OSC). Une aide financière complémentaire a été apportée par l’ANRS, le CEPREMAP, et le GPR IPORA de l’Université de Bordeaux.
Pour consulter l’intégralité de l’étude, vous pouvez télécharger la publication Ex-Post en français ici (également disponible en anglais).
- Thivillon, Thomas, Adama Sana, Élodie Djemaï, et Philippe De Vreyer. « Réduire la pollution due aux fumées de cuisson : principaux enseignements de l’étude randomisée REDGAS au Burkina Faso ». ExPost. Évaluation de l’AFD. Agence Française de Développement, Institut de Recherche pour le Développement, septembre 2024. https://www.afd.fr/sites/afd/files/2024-09-10-14-22/ExP105_VF_Web_revuAH.pdf. ↩︎
- Le dolo est une bière traditionnelle largement produite en Afrique subsaharienne, particulièrement dans la région sahélienne. Elle est fabriquée à partir de mil, une céréale essentielle cultivée dans cette partie du continent. Sa production nécessite de brûler des quantités très importantes de bois. ↩︎
- Nafa Naana est une entreprise sociale fondée par l’ONG internationale Entrepreneurs du Monde. À travers cette initiative, Entrepreneurs du Monde vise à rendre accessibles aux populations vulnérables des produits économes en énergie, afin d’améliorer leurs conditions de vie, de préserver l’environnement et de stimuler l’économie locale. ↩︎